Une femme poète hors du commun et un chantre du sentiment

    Douée en musique comme en peinture, pionnière de l’archéologie, Li Qingzhao 李清照 s’est révélée comme la plus remarquable poétesse de l’histoire chinoise ; surtout, elle fait partie des écrivains chinois les plus singuliers et les plus accomplis. Écrits dans une langue proche de la langue parlée de l’époque, ses odes 詞 tout d’abord révèlent une grande marque de sentiment, mais également montrent une originalité inégalée à travers l’histoire littéraire du monde chinois par le choix des images et le déploiement des mots. En recueillant l’héritage de ses confrères qui développèrent le 詞, Li Qingzhao ne se satisfait pas d’en exacerber l'empire du sentiment : elle ne cesse d’expérimenter pour mieux identifier toutes les dimensions de la création lyrique.

    Aspects de l’œuvre littéraire étonnante de Li Qingzhao

    L’écriture poétique qu’elle déploie dans les 詞 repose sur trois fondements. D’abord, son propos évite les poncifs afin de s’attacher à l’évocation factuelle de scènes choisies de son existence qu’elle retrace pour nous. Ensuite, le mode d’agencement des poèmes, vigoureux et subtil, et la création d’images inaccoutumées et inattendues sont placés, au moins au début de son itinéraire poétique, sous le signe des transformations de l’univers au sens où elles se trouvèrent décrites dans le 易經 Yi Jing, le Classique des Mutations, afin de révéler à la lecture le déplacement incessant de l’activité émotionnelle : les objets et les états de l’âme interfèrent et il arrive qu’ils se superposent, comme ce chagrin qui en vient réellement à
peser si lourd, faisant plier une rambarde ou chavirer une embarcation. Pour finir, tournant délibérément le dos aux exercices savants de certains de ses confrères, l’emploi de tournures usuelles dans la langue classique et la recherche  intensive d’effets musicaux, ce qui va rendre au discours poétique ce caractère oral qu’il a d’avantage dans d’autres pays qu’en Chine.

    C’est ainsi que Li Qingzhao mettra en scène de préférence des moments particuliers de sa vie, où l’insistance est mise sur certains thèmes répétés qui s’entrecroisent : l’un deux pour commencer consiste en l’identification de l’écrivain aux fleurs, qui va aller jusqu’à conférer l’affectivité d’une personne à ces fleurs et aux arbres, de sorte que ceux-ci peuvent alors coïncider en accord profond avec les humains ; le second est celui de l’interaction entre le domaine renfermé de son appartement et l’univers extérieur de la nature soumis aux évènements météorologiques et à la luminosité variable du ciel – comme si l’un répondait à l’autre.

   Entre eux, évidente et pourtant perméable, s’interpose une limite marquée et même soulignée par stores et persiennes qui trace l’écart entre ces deux domaines toutefois en étroite symbiose. De part et d’autre se manifestent aussi les sons et les odeurs, qui ne se contentent pas d’exciter la perception, mais constituent des énergies agissantes dans l’un et l’autre des deux ensembles. Pour lutter contre le froid, cette obsession  qui coule sous son pinceau, l’écrivain trouvera refuge dans les rêves ou dans l’ivresse : et au gré des poèmes, depuis sa jeunesse jusqu'aux dernières années, elle passera en revue ses souvenirs, ses regrets, ses attentes, puis, de plus en plus, son veuvage et sa vieillesse. Ainsi pourrait-on résumer les aspects essentiels de l’œuvre poétique de Li Qingzhao.